BIBLE - Bible chrétienne et Torah juive

BIBLE - Bible chrétienne et Torah juive
BIBLE - Bible chrétienne et Torah juive

L’évolution parallèle, dans le judaïsme et dans le christianisme, de la terminologie relative aux Écrits sacrés révèle à la fois une homologie frappante et des différences profondes dans la pratique scripturaire des deux religions.

1. La Bible chrétienne devient «canon des Écritures»

D’une façon stricte, la formule «la Bible», en grec hè Biblos , est chrétienne. Certes, elle est née chez les juifs, puisqu’on la trouve dans la Lettre d’Aristée , au IIe siècle avant J.-C.; mais sa carrière fut exclusivement chrétienne, tout comme la traduction grecque des Septante qu’elle désignait à l’origine. Assez tardivement, au tout début du IIIe siècle, les chrétiens distinguèrent dans la Bible un Nouveau Testament et, par voie de conséquence, un Ancien Testament. Ce n’est qu’au IIe siècle que l’on aboutit, en effet, à une collection complète que l’on appela «Nouveau Testament»; jusque-là, on ne possédait pas d’ensemble constitué; il n’y avait que de simples groupements de documents tels que les Évangiles ou les lettres de Paul. La manifestation d’une unité littéraire nommée «Nouveau Testament» désignait de soi, comme son complément obligé, cette autre unité que l’on appela «Ancien Testament». «Nouveau Testament» est une formule latine, novum testamentum , que l’on utilisa pour traduire le mot grec diathèkè , «alliance», dont le rôle dans la Bible est de la plus grande importance. Un fort déplacement de sens s’était produit: du registre théologique, on passa au registre littéraire; et ainsi s’opéra la fixation d’une notion technique, vetus et novum testamentum , dont Tertullien (155 env.-225 env.), qui parle surtout de vetus et novum instrumentum , atteste de son côté la diffusion précoce. Cette façon de dire vint très probablement d’Asie Mineure: les premiers indices s’en repèrent chez l’évêque de Sardes, Méliton, contemporain et compatriote d’Irénée (132 env.-208 env.). C’est chez Clément d’Alexandrie (140 env.-220 env.) que l’on perçoit la transformation décisive de diathèkè en son acception nouvelle, que le passage au latin finira de durcir en l’instituant comme littéraire. La dernière étape fut l’imputation du mot grec kanôn à cet ensemble «biblique». Ce terme, sémitique à l’origine puisqu’on le trouve en sumérien, en akkadien, en ougaritique et en hébreu avec le sens originel de «roseau», en vint à signifier «règle», dans le sens matériel puis métaphorique du terme. Et, dans le christianisme des premiers siècles, il devint la «règle (kanôn ) de vérité», la «règle de foi» et la «règle de l’Église». C’est seulement à partir du IVe siècle que ce sens théologal et ecclésiastique global de kanôn éclata pour signifier des documents ayant valeur doctrinale ou disciplinaire de «règle»: le mot désigna surtout l’ensemble des livres saints de l’Ancien et du Nouveau Testament (il y eut aussi par exemple les «canons» des conciles). Athanase (293-373) est, semble-t-il, le premier des Pères à avoir utilisé le mot selon cette nouvelle acception, que l’on trouve consacrée au concile de Laodicée, en 360 environ. L’usage passa du grec au latin, où «canon», utilisé tel quel par les langues modernes, devint de fait synonyme du latin Biblia , «la Bible».

2. L’Écriture juive devient «Doctrine»

La terminologie juive, avec l’objet qu’elle désigne, apparaît tout autre. À la fin du Ier siècle après J.-C., les autorités rabbiniques avaient catalogué la plupart des livres de leurs saintes Écritures, avec cependant encore des flottements dont témoignent les débats recueillis par la Mishna et le Talmud. Dans le Contre Apion , Josèphe écrit qu’il existe chez les juifs «vingt-deux livres (biblia ) qui contiennent les annales de tous les temps et obtiennent une juste créance» (I, 37); la liste qu’il donne s’accorde avec la division de la Bible grecque, où le livre de Ruth est rattaché à celui des Juges et le livre des Lamentations à celui de Jérémie. La tradition palestinienne ne fait pas ces regroupements et compte vingt-quatre livres, comme l’atteste l’apocalypse contemporaine dite IVe Livre d’Esdras (XIV, 45). Il ne semble pas qu’une formule spécifique et déclarée ait eu cours alors dans le judaïsme pour désigner la totalité de ces Écritures. Seuls, semble-t-il, les Qumr nites disaient «le Livre» (ha-Sepher : Règle de la Communauté VI, 7; VII, 1, etc.). Mais ils étaient, pourrait-on dire, des dissidents, et le champ homologué de la lecture et de l’interprétation cultuelles, que les rabbins restreignaient au seul Pentateuque (exactement: «T 拏rah de Moïse»), couvrait chez eux l’ensemble des livres bibliques (sur ce point et sur d’autres, ils seront imités, à partir du VIIIe s., par les Karaïtes). Or, tandis que les chrétiens distinguaient un Ancien et un Nouveau Testament comme étant les deux parties constitutives de la Bible, les juifs, pour leur part, allaient parallèlement proclamer l’existence d’une T 拏rah qui, révélée à Moïse au Sinaï, revêt deux formes: la «Tor h écrite», qui pour sa plus grande partie correspond à l’Ancien Testament des chrétiens, et son complément nécessaire, la «T 拏rah orale», composée d’abord de la Mishna puis du Talmud (mot qui veut dire «étude» ou «enseignement»). Aussi n’est-il ni adéquat ni juste de dire que l’Ancien Testament chrétien est la Bible des juifs, car l’équivalent ou l’homologue de la Bible, qui est chrétienne, c’est bien la T 拏rah: d’une certaine façon, la T 拏rah orale est au Nouveau Testament ce que la T 拏rah écrite est à l’Ancien. La T 拏rah écrite sera appelée Miqr , «Écriture», mais, littéralement et plus exactement, «Lecture», car ce mot dérive de la racine qârâ , «lire». Apparu d’abord dans les sources tannaïtiques, ce terme sera très utilisé par les juifs du Moyen Âge. Les Karaïtes (en hébreu Qeraïm , «Scripturaires», ou plutôt «Lecteurs [de l’Écriture]») se disaient d’ailleurs les Ben 勒 Miqr («Fils de l’Écriture/Lecture»). Si l’on sait que T 拏rah veut dire «Doctrine» et «Enseignement», la notion de Miqr , par sa signification stricte, assure donc l’homologation et l’homogénéisation des deux T 拏roth dans l’ordre de l’oral, avec la lecture sacrée (T 拏rah écrite) et avec l’étude ou enseignement doctrinal (T 拏rah orale).

Le judaïsme n’a pas d’équivalent pour le mot «canon», qui est exclusivement chrétien (tout comme «Bible», son réel synonyme). À la rigueur ne peuvent être perçues comme ayant plus ou moins fonction de canonisation que les discussions des rabbins lorsqu’ils cherchent à décider si tel livre (le Cantique, Esther, Ben Sira, l’Ecclésiaste ou d’autres) «souille les mains» ou non (Mishna, Yadaïm III, 5), autrement dit s’il est vraiment sacré et si donc il risque d’être profané par qui le toucherait.

3. Bible et T size=5拏rah: surdéterminées par une origine commune

Le canon des Écritures une fois constitué et la T 拏rah des juifs étant ainsi doublement implantée, il est intéressant de suivre ce qu’il advint du texte biblique. Du côté chrétien, Jérôme (331-420) réalisa et publia, à partir des textes originaux, une nouvelle traduction de la Bible en langue latine. Au XIIIe siècle, on réserva à cette version seule le nom de «Vulgate». La «Vulgate» fut déclarée juridiquement comme la seule Bible authentique et canonique par le concile de Trente; elle allait le rester aux yeux des catholiques définitivement pour la liste des livres qui la composent, et, jusqu’aux dispositions de Pie XII (encyclique Divino afflante Spiritu , 1943), pour sa langue, le latin de Jérôme, qui se trouvait doté des qualités bibliques. Du côté juif, l’intérêt pour l’Écriture, ou T 拏rah écrite, ne cessa de se manifester, d’une façon étonnante, sur plusieurs plans. D’abord avec le long travail qui occupa de nombreuses générations et qui, au Xe siècle, aboutit à la fixation dernière du texte hébraïque: la Massore , sorte de Vulgate hébraïque, qui sert toujours de référence aux juifs comme aux chrétiens. Il faut mentionner ensuite le rôle important qu’ont eu les juifs dans la publication des premières Bibles imprimées au XVe et au XVIe siècle, ainsi que, dès les débuts de la Renaissance, l’œuvre capitale des philologues juifs dans les recherches et publications sur la langue hébraïque. Signalons aussi les grandes traductions de la Bible qui, chez les juifs, auront en quelque sorte fait pièce, assez loin en amont comme en aval, à l’admirable Bible de Luther: par exemple, d’une part, celle de l’éminent penseur Saadia (882-942), le recteur (Gaon , «Excellence») de l’Académie juive de Sura, auquel on doit la première version arabe de la Bible, version standard encore utilisée aujourd’hui; d’autre part, la Bible en langue allemande traduite et publiée par le fameux Moïse Mendelsshon (1729-1786) et ses collaborateurs.

En bref, l’histoire de la T 拏rah juive n’a cessé d’être surdéterminée par l’histoire parallèle de la Bible chrétienne ou, mieux, par l’histoire de ses origines – ces origines étant communes, du point de vue biblique, aux deux confessions, si bien que l’on peut parler de manière pertinente de «proto-judaïsme» et de «proto-christianisme». Le judaïsme a élargi son corps initial d’Écrits sacrés à une T 拏rah, ou «Doctrine», écrite et orale. Le christianisme, au contraire, en est venu à définir un canon des Écritures de façon exhaustive au terme d’un long processus; par là, il ne devait pas échapper lui-même, de quelque façon, à l’impact d’une surdétermination juive: il fut contraint, en effet, de reconnaître, également a posteriori, une «Tradition» pour ainsi dire à la fois distincte et complémentaire de son «Écriture». Ce faisant, il fut amené à mettre ce mot au singulier, comme les juifs le firent avec le terme de T 拏rah .

Encyclopédie Universelle. 2012.

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